Les idéaux politiques extrémistes : de l’extrême gauche à l’extrême droite

par | 14 mai 2017 | Extrêmes droites, Extrêmes gauches

Texte de conférence d’après le livre L’Extrémisme (CNRS Editions, 2011).

Il n’est rien de plus imprécis que la très vague notion de « l’extrémisme », qui génère depuis des années tant de « unes » de presse. Le serpent de mer du “péril extrémiste”, de la “montée des extrêmes” et des risques que les courants politiques de bordure font courir à la majorité, n’en finit pas de surgir et ressurgir. Sans cesse, on l’invoque, on le redoute, on l’évoque, on le pourchasse…

À dire vrai, la « menace extrémiste » se présente comme un mal récent. Elle apparaît dans les discours après la Seconde Guerre mondiale, et n’envahit le champ en tant que telle qu’à partir des années quatre-vingt. On assiste à la prolifération de sports extrêmes, extrémisme artistique, sexe extrême, etc. La notion évolue ainsi dans le grouillement hasardeux d’un surgissement populaire.

Elle est souvent définie d’emblée comme un terme vague, aux acceptions multiples. Rien de moins scientifique en somme que ce mot baroque, qui renvoie à une forme d’excès, aux antipodes de la rationalité du compromis politique.

Il est vrai que l’extrémisme pose problème. L’objet d’étude se montre non seulement fluctuant et incertain, mais encore rétif. Il se dérobe. Il se cache. Il se dissimule. Nul ne veut jamais s’en réclamer : “Extrémiste ? Moi, jamais…” Telle est la devise psalmodiée par la majorité des acteurs de cette scène.

Multiples sont les conséquences de ce flou imprécis. On peut craindre de sombrer dans l’amalgame. Notre objet ne concerne-t-il pas -en simultané- les deux courants les plus opposés du champ politique ? « Droitisme » et « gauchisme » s’observent de loin et s’invectivent quand ils sont au contact. Est-il envisageable de les observer conjointement ?

L’extrême droite et l’extrême gauche ne partagent a priori que trois caractéristiques communes :

– La détestation de la société présente ;
– le désir de la détruire en empruntant le chemin de la violence ;
– un certain nombre d’idéologues : Proudhon, Lénine, Gramsci, Staline, Guevara, Mao, Debord…

Pour le reste, les visions du monde divergent radicalement.

Les extrêmes gauches s’accordent sur une vision optimiste de l’homme. Elles s’ancrent sur la vision rousseauiste d’une parfaite égalité à la naissance.

Les extrêmes droites prétendent a contrario refléter la réalité des inégalités naturelles. Elles envisagent un ordre nouveau, en phase avec la nature profonde de l’homme et respectant un strict code hiérarchique.

Extrême droite et extrême gauche ne jouissent pas dans l’opinion du même regard. L’extrême gauche bénéficie d’un préjugé favorable. Même quand on la critique, on fait preuve d’une certaine mansuétude. Avouer son engagement adolescent et passé dans un groupe gauchiste n’a rien d’infamant.

L’extrême droite souffre en revanche d’un déficit d’image et d’un discrédit durable. Nul ne songe à identifier les militants d’extrême gauche aux millions de morts du Goulag ou au génocide cambodgien. Mais les activistes d’extrême droite se voient sans cesse démonisés, et renvoyés aux crimes nazis.

Les rares personnalités qui avouent un militantisme de jeunesse dans un groupe d’extrême droite sont aussitôt suspectes. C’est une marque d’infamie, et nul ne songe à s’en prévaloir dans un curriculum vitae.

Alors même que les anciens terroristes d’extrême gauche bénéficient d’un préjugé favorable et font l’objet de films teintés de nostalgie, les anciens poseurs de bombe néofascistes se réfugient pour la plupart dans un anonymat prudent.

Les extrêmes droites

Nous savons que l’extrême gauche s’ancre historiquement dans l’Assemblée constituante de 1789. On pourrait en dire autant de la droite extrême, la notion de “droite” surgissant elle aussi avec la toute première chambre.

De la Révolution française jusqu’à l’affaire Dreyfus, la droite extrême s’incarne dans les diverses factions royalistes, qui rejettent la Révolution et souhaitent revenir par la force à l’ordre ancien. À partir de l’affaire Dreyfus, on voit toutefois croître des courants nationalistes, qui prétendent reconquérir une France confisquée par les lobbies, et principalement par les Juifs. Dans Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France((Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions du Seuil, Paris, 1990.)), Michel Winock montre qu’au XIXe siècle, les mouvements nationalistes sont liés à la gauche et à l’idéal républicain. Le nationalisme est “ ouvert ”. Il participe de l’autodétermination des peuples. Il qualifie des processus d’émancipation anticolonialiste. Il ne devient une revendication d’extrême droite liée à l’antisémitisme qu’à la fin du XIXe siècle. Le livre-manifeste La France juive, d’Édouard Drumont, sort en 1886.

À l’orée du XXe siècle, deux familles cohabitent, qui structurent encore aujourd’hui le paysage des extrêmes droites :

– les contre-révolutionnaires veulent inverser le mouvement de l’histoire. Il s’agit de restaurer la monarchie, de revenir au binôme du trône et de l’autel ;
– les révolutionnaires s’inscrivent dans l’héritage de 1789. Nationalistes, ils veulent reconquérir le pays en le débarrassant notamment de la démocratie.

Au long du XXe siècle, on voit se multiplier les expériences de “nationalisme réel”, comparables au “socialisme réel” du bloc soviétique : Italie fasciste, Allemagne nazie, mais aussi Espagne franquiste, France pétainiste, Portugal salazariste, puis plus tard : Argentine péroniste, Grèce des colonels…

Ces expériences, qui sont diversement appuyées par les différents courants, viennent nourrir les corpus idéologiques des mouvements droitistes.

Le clivage entre révolutionnaires et contre-révolutionnaire demeure en tout cas pertinent.

L’archipel contre-révolutionnaire inclut bien entendu les divers surgeons royalistes. Ceux-ci se divisent en trois ensembles idéologiques : les Orléanistes alignés sur le comte de Paris, les légitimistes qui soutiennent le duc d’Anjou, et ceux qui refusent de choisir entre les deux prétendants. Dans le même camp figurent la plupart des catholiques traditionalistes. On y observe également les traditionalistes radicaux, disciples de René Guénon.

Dans l’archipel révolutionnaire, on trouve en vrac les nationalistes “classiques”, les nationalistes révolutionnaires, les nationaux-communistes, les néo-nazis, et les post-nationalistes.

L’extrême droite et l’extrême gauche sont évidemment des adversaires politiques. L’antifascisme est structurant, pour de nombreuses tendances trotskistes, staliniennes et anarchistes. En face, le regard est plus ambivalent. L’hostilité envers la gauche radicale est nuancée en permanence par une fascination “ chevaleresque ” pour l’adversaire. Antisémite doctrinaire, collaborateur pendant la Seconde Guerre mondiale, auteur de nombreux livres d’extrême droite et d’un Dictionnaire de la politique française, Henry Coston (1910-2001) fait montre d’une troublante mansuétude envers l’adversaire : “Il y a moins de différences, croyez-moi, entre un militant d’extrême droite, nourri de Drumont ou de Drieu La Rochelle, et un camarade de Mlle Arlette Laguiller, qu’entre un partisan de M. Marchais et un associé de M. d’Ornano((Cité dans : Jean-Pierre Apparu, La Droite aujourd’hui, Albin Michel, Paris, 1979.)).”

Tout comme l’extrême gauche, la droite radicale se voit par ailleurs traversée par un clivage transversal entre « modernistes » et « invariants ». Les invariants souhaitent préserver l’intangibilité de la doctrine. Quant-aux modernistes, ils souhaitent adapter le corpus idéologique à l’évolution du monde.

Les extrêmes droites modernistes se montrent fascinées par les gauches révolutionnaires. Il ne viendrait à l’idée d’aucun militant “ gauchiste ” de lire Maurras, Niekish, Sombart, ou De Benoist. Pourtant, les modernistes d’extrême droite lisent Lénine, Staline, Gramsci, Guevara, ou Debord…

L’intérêt pour l’adversaire obéit à deux mobiles superposés.

Il est d’abord stratégique. Quand l’extrême droite se recompose dans les années soixante-dix, la gauche radicale exerce une domination culturelle. Elle influence les artistes, l’Université, les élites. En étudiant l’adversaire, les droitistes rêvent d’opérer à leur tour une conquête culturelle. Ils s’emparent des armes de l’extrême gauche et deviennent experts en dialectique. Ils s’emploient notamment à détourner, puis retourner les arguments de l’adversaire. Sont-ils taxés de racisme ? Ils dénoncent le “racisme anti-blanc”. Sont-ils dénoncés comme nostalgiques du nazisme ? Ils se posent en “nouveaux résistants”.

On ne saurait toutefois réduire le phénomène à une simple pose rhétorique. L’extrême droite moderniste prend acte du fait que les deux extrêmes puisent en partie dans le même corpus. Elle effectue ainsi depuis le début des années soixante-dix un réexamen critique des expériences de gauche, comme de droite. De même que le Nouveau Parti anticapitaliste apparait comme le produit (certes imparfait) d’une révolution culturelle au sein du trotskisme moderniste, de même la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist se montre comme le principal révélateur d’une révolution culturelle au sein des droites radicales.

Révolutionnaire ou contre-révolutionnaire ? Moderniste ou invariante ? Comment décrire avec justesse une extrême droite fortement plurielle ?

Michel Winock établit neuf critères :

– la haine de l’époque présente ;
– la nostalgie d’un âge d’or, parfois mythique ;
– l’éloge de l’immobilité, c’est-à-dire le refus du changement ;
– l’apologie des sociétés élitaires, la fascination pour la hiérarchie ;
– la nostalgie du sacré, qu’il soit religieux ou moral ;
– le peur du métissage génétique et de l’effondrement démographique ;
– lLa censure des mœurs : rejet de la liberté sexuelle ou de l’homosexualité ;
– l’anti-intellectualisme.

Les extrêmes gauches

L’étiquette de « l’extrême gauche » regroupe des familles très diverses, qui possèdent leur histoire propre et se sont généralement développées en s’ignorant les unes les autres. La rigidité doctrinale interdit les accords et limite les rapprochements stratégiques. Nul n’est plus antitrotskiste qu’un stalinien. Nul n’est plus antistalinien qu’un anarchiste… La provenance idéologique sculpte le devenir et génère des inimitiés séculaires((À l’extrême droite, on observe à l’inverse une grande porosité. Même s’ils divergent sur les grandes lignes, les différents courants s’accordent sur une connivence commune. On observe une grande fluidité. Nombre d’activistes flottent d’un groupe à l’autre, d’un courant à l’autre. Le nomadisme est plus intense que dans le camp adverse, tandis que la rigidité doctrinale semble moins prégnante.)).

Il est paradoxalement beaucoup plus difficile d’étudier les extrêmes gauches que les extrêmes droits. Observant les différents archipels de la gauche radicale, l’observateur impartial dérange, au point que l’on tente parfois de le faire taire, en répandant des calomnies, en se livrant à des menaces, en essayant par tous les moyens de discréditer celui qui est perçu comme un adversaire. L’extrême gauche entretient souvent avec le reste du monde une relation antagonique, qui s’explique en partie par l’histoire.

Dans les années soixante, la génération du “baby-boom” endosse les discours d’extrême gauche, qui constituent le fil idéologique de la contestation. À partir de Mai 1968 et jusqu’à la fin des années soixante-dix, chacun se détermine peu ou prou, par rapport à une allégeance militante passée. Certains n’ont rejoint que fugitivement la Ligue communiste, la Gauche prolétarienne, l’Alliance des jeunes pour le socialisme, ou l’Alliance marxiste révolutionnaire. Ils n’ont pas toujours été adhérents et se sont bien souvent contentés d’un statut de sympathisant. Mais ils revendiquent une allégeance trotskiste, maoïste, anarchiste ou “ultragauche”. Dans Secrets de jeunesse, Edwy Plenel invoque un “trotskisme culturel((Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Stock, Paris, 2001.))”. La formule peut surprendre. Mais dans les années soixante et soixante-dix, les mouvements d’extrême gauche jouissent d’une influence qui excède les frontières du politique. Les groupes gauchistes de la génération 68 apparaissent comme des incubateurs culturels. Évoquant le mouvement maoïste, dont il fut partie prenante, Philippe Sollers évoque un “trou noir”, un lieu aveugle((Cité dans : Christophe Bourseiller, Les Maoïstes, la folle histoire des « gardes rouges » français, Plon, Paris, 1996.)). Il n’est en effet rien de moins clair et défini que le maoïsme, qui se réfère de manière ambiguë à des écrits théorico-poétiques, souvent obscurs et nébuleux. Philippe Sollers est d’ailleurs le maître d’œuvre d’un Cahier de l’Herne consacré au poète, à l’artiste Mao Zedong.

On voit cohabiter sous l’étiquette “prochinoise” des staliniens bottés et militarisés, souvent partisans du service militaire et du “tout nucléaire”, membres du Parti communiste marxiste-léniniste de France ou du Parti communiste révolutionnaire (marxiste-léniniste), et des “babas cools”, membres de Vive la révolution (VLR).

On ne peut guère s’étonner d’une telle cacophonie. Elle s’explique par le caractère duel du maoïsme. Sur un plan politique, il s’agit d’une branche spécifique du marxisme, qui s’inspire autant de Staline que de Mao. Sur un plan culturel, certains groupes maoïstes apparaissent comme les transmetteurs de lignes nouvelles qui viennent modifier le champ culturel. Dirigé par Roland Castro, le groupe maoïste Vive la révolution, de Christian de Portzamparc, Tiennot Grumbach et Stéphane Courtois, sert ainsi d’incubateur involontaire et provisoire au mouvement des femmes et à la cause homosexuelle. On peine à trouver en Chine une telle ouverture aux femmes ou aux homosexuels.

Quoiqu’il en soit, les groupes gauchistes se voient investis d’une fonction inattendue. Ils rêvaient de guerre civile et de Grand Soir. Ils se retrouvent à la pointe d’un mouvement de réforme qui transforme le visage des différents pays occidentaux.

Cette fonction paradoxale leur confère un surcroît de prestige inattendu. Dès lors que les courants d’extrême gauche pèsent involontairement sur le champ culturel, les organisations politiques se voient qualitativement rehaussées. On les écoute, on les étudie, on les relaie médiatiquement. Elles se trouvent en position d’agents d’influence culturelle. Elles sont notamment omniprésentes à l’Université, où elles jouissent un temps d’un réel pouvoir.

Les organisations demeurent aujourd’hui fascinées par le prestige dont elles ont jouies. Il est vrai qu’elles sont pour la plupart dirigées par d’anciens protagonistes de Mai 68. Elles demeurent majoritairement générationnelles, même si on assiste depuis peu à un certain rajeunissement. Elles tentent dès lors au fil des années de préserver leur influence culturelle. Elles maintiennent des liens dans les différents médias, demeurent présentes dans les Universités et tentent encore d’influer sur les disciplines artistiques.

On voit bien dès l’abord que par-delà les tendances, l’extrême gauche est dominée par la nostalgie tenace d’une grandeur passée.

D’un point de vue généalogique, on a coutume de faire remonter la faire remonter à la Révolution Française , puisque “droite” et “gauche” ne prennent sens qu’avec l’avènement de la République et la création en 1789 de l’Assemblée constituante.

Mais la révolte des esclaves romains, menée par Spartacus de 73 à 71, avant d’être anéantie par Crassus, puis Pompée, constitue un acte symbolique autrement plus fondateur. La révolution allemande que mènent en 1919 Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ne se réclame-t’elle pas du “spartakisme” ?

Il faudrait évoquer Thomas Müntzer (1488-1525). Celui-ci développe un christianisme “social”, insistant sur le fait que Dieu a créé tous les hommes égaux. En 1523, le prêcheur itinérant au verbe enflammé fonde la Ligue des Élus, qui annonce l’avènement des temps messianiques et prophétise la chute de tous les tyrans. En 1525, Thomas Müntzer prend une part active à la Guerre des paysans, qui ensanglante la Thuringe. Il lève notamment une armée de deux mille “gueux”, rassemblés sous la bannière de l’arc-en-ciel. Il meurt finalement décapité, tandis que son mouvement révolutionnaire et messianique est détruit par le fer.

Ned Ludd est à sa façon un autre héritier de Spartacus. En 1779, ce travailleur anglais détruit l’une des premières machines industrielles, et mène en 1811 et 1812 un conflit social “incontrôlé”, qui préfigure les “grèves sauvages” du XXe siècle.

Quoiqu’il en soit, le courant se structure principalement au XIXe siècle, quand deux grands tronçons dominent une galaxie fortement plurielle.

D’un côté les anarchistes (Pierre-Joseph Proudhon, Michel Bakounine), de l’autre Karl Marx et sa postérité “scientifique”. La conception “autoritaire” de Marx doit-elle l’emporter sur la vision “fédéraliste” de Bakounine ? Le débat entre marxistes et anarchistes est avant tout stratégique. Les anarchistes refusent la graduation progressive vers le communisme et prônent l’immédiatisme. En 1872, Karl Marx prend acte de la rupture dans un texte célèbre : Les Prétendues Scissions dans l’Internationale.

Au fil d’une histoire complexe, le courant marxiste se scinde en trois grands ensembles : une droite “révisionniste”, prête à remettre en cause les fondements de la théorie communiste (Édouard Bernstein, Georges Sorel) ; un centre, qui louvoie et voudrait maintenir l’intégrité de la doctrine en l’adaptant au monde réel (Karl Kautsky) ; une gauche arc-boutée sur le verbe marxiste, et qui refuse toute compromission dictée par les circonstances (Rosa Luxemburg). Encore ces jalons paraissent-ils singulièrement artificiels, au regard d’une histoire riche de sa diversité.

Par-delà les descriptions, ce qui frappe ici, c’est le pluriel. Nous observons la postérité d’une multitude de courants et de sous-courants qui s’assemblent et se désassemblent au fil d’une complexe micro histoire.

L’assemblage et le désassemblage perdurent tout au long du XXe siècle. Le paysage actuel des extrêmes gauches est ainsi principalement tributaire des réassemblages et désassemblages survenus à partir de 1945.

En tout état de cause, les différents courants possèdent leur histoire propre. L’anarchisme plonge ses racines dans le XIXe siècle. L’ultragauche se constitue progressivement à partir de la révolution spartakiste allemande en 1919 et de la création de l’Internationale communiste (Komintern) en 1920. Le trotskisme surgit en tant que courant organisé en 1929, quand est fondée l’Opposition de gauche internationale (OGI). Le stalinisme s’assemble progressivement à partir de la mort de Staline en 1953. Le maoïsme prend enfin son envol sur un plan international en 1963.

Sur un plan idéologique, le critère fondamental qui sépare les extrêmes gauches des gauches modérées, c’est la question de la révolution. Le Parti communiste français, que l’on classe à gauche de la gauche, prône depuis longtemps une solution exclusivement électorale, alors que les mouvements d’extrême gauche estiment nécessaire d’engager un processus révolutionnaire. La violence se trouve ainsi au cœur de la définition. Les extrêmes gauches rejettent la démocratie parlementaire “bourgeoise” et veulent remplacer l’élection par la révolution, cet instant de rupture avec l’ordre ancien dans lequel une poignée d’hommes prétend incarner par intuition la volonté du plus grand nombre. L’extrême gauche “plurielle”, pour reprendre l’expression de Philippe Raynaud, demeure ainsi fidèle à la révolution. Elle ne se présente aux différents scrutins électoraux que pour des raisons opportunistes : passer à la télévision, recueillir des subventions étatiques, voire tester la popularité d’un candidat. En tout état de cause, tous les mouvements d’extrême gauche sans exception demeurent fidèles au célèbre slogan de Mai 1968 : “Élections, piège à cons”.

Alors qu’en France, une partie de l’extrême droite moderniste sert de matrice à un puissant courant national-populiste, l’extrême gauche peine à peser sur la société.

Des penseurs comme Alain Badiou, Toni Negri, Slawoj Zizek ou feu Daniel Bensaïd tentent de repenser le corpus doctrinal révolutionnaire, de le rénover, de le reconstruire, pour lui rendre un caractère opérant. De multiples revues œuvrent en ce sens : Multitudes, Contre-Temps, Lignes, Vacarme, Résister…

Des voix diverses qui, pour la plupart, parlent depuis le léninisme. Elles effectuent une relecture critique des textes fondateurs et s’interrogent sur le bien-fondé de l’Évangile marxiste-léniniste. Ce labeur de refondation porte-t-il ses fruits ? Les perspectives semblent en tout état de cause très incertaines. Les modèles “nouveaux” déterminés par les penseurs modernistes peinent à se distinguer des expériences précédentes.

L’extrême gauche peut-elle aujourd’hui se dépasser pour correspondre à l’époque nouvelle, ou bien demeure-t-elle prisonnière de schémas immuables, de mythologies “incapacitantes”, qui la condamnent au ressassement ?

On le voit, les extrémismes politiques se trouvent au cœur des mutations idéologiques.

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