Génération K.O. : le lourd héritage de mai

par | 30 décembre 2008 | Contre-Cultures

Ce texte est extrait du du livre Generation Chaos, Punk New Wave, 1975-1981, paru chez Denoël en 2008.

1975-1981 constitue une réponse directe à 1968.

Il suffit pour s’en convaincre de promener le doigt sur un calendrier.

De 1967 à 1972, le monde occidental se voit traversé par un séisme politique et culturel, à l’image emblématique du « Mai rampant » italien. La mise en cause des valeurs parait définitive. Qui survivra à l’imminente et décisive conflagration?

En 1973, le mouvement social entre en décomposition. Voici le temps de la grande déception. Terrorisme, dérives sectaires et raison d’Etat sonnent le glas des grandes espérances . La Chine ne serait-elle au fond qu’une dictature ? L’idéal égalitaire débouche-t-il forcément sur le Goulag ? Les générations ultérieures ne peuvent dissimuler leur perplexité. Que reste-t’il de 1968 ? Des promesses oubliées, une déception généralisée, des suicides, de belles carrières et quelques réformes. On hérite, non pas d’une révolution, mais de l’échec de cette révolution.

La génération 1977 assiste au spectacle blafard du recentrage. Elle voit les aînés conquérir les postes et s’y accrocher, alors qu’ils prétendaient ne jamais se prêter au jeu du pouvoir. Le punk et la new wave témoignent d’une absolue méfiance, à l’égard des croyances rédemptrices. Plus jamais de belles paroles. Plus de sermons. Plus d’hypocrisie… On remplace les élans collectifs par une froide et réaliste célébration de la nuit. Au risque d’y perdre son âme.

CONTRE-CULTURE, OU SOUS-CULTURE ?

L’histoire de la new wave s’apparente au récit d’une guerre. Quarante et un morts au compteur. Sans doute faudrait-il également consigner les décès anonymes, survenus dans la marge d’une explosion aux multiples dégâts collatéraux.

On sait le punk et la new wave porteurs d’une kyrielle de paradoxes. Révolutionnaire, le mouvement réinvente le scandale, s’ancre à gauche et prétend incarner un nouveau rock de la rue. Réactionnaire, il rejette la perspective du Grand Soir. Pire encore, il use et abuse d’une esthétique fascisante, comme si les sigles ne faisaient plus sens. La new wave cultive l’ambiguïté. Comment l’appréhender? Doit-on la percevoir comme une contre-culture, ou une sous-culture ?

Le mouvement hésite entre les mondes. Il engendre un lot considérable d’artistes, de créateurs, d’écrivains ou de penseurs. Dans le même temps, il nourrit la colonne des faits divers et suscite de discutables vocations. Les Sex Pistols illustrent cette perpétuelle contradiction. Dans ce groupe ultime, un poète nommé Johnny Rotten côtoie le paumé Sid Vicious, qui finit par se tuer. Qui symbolise au mieux le punk? Un héritier d’Antonin Artaud, ou un Junkie nourri de séries télévisées? Le maitre-mot de la révolution, c’est un atroce, un implacable nihilisme, qui s’emploie en peu d’années à trucider une jeunesse. La génération chaos se transforme en une génération K.O..

L’INCONTOURNABLE NEW WAVE

Que reste-t-il en fin de compte de ce foisonnement disparate marqué par le triomphe du négatif ? Sur un plan strictement esthétique, l’influence est indéniable. Le punk et la new wave irriguent aujourd’hui la quasi totalité du champ culturel. Il suffit d’allumer la télévision, reflet fidèle d’une époque. Les habillages d’antennes, les spots publicitaires et les génériques témoignent d’une durable fascination.

La musique des trente dernières années a été profondément bouleversée par la vague. Du grunge au gothique en passant par l’actuel renouveau punk, la plupart des courants récemment surgis se disent tributaires de l’époque marquante. Les plus grands groupes rock avouent d’ailleurs leur fascination. U2, Depeche Mode ou Guns’n’Roses ne cessent de rendre hommage aux punks et aux laborantins de la new wave. C’est le cas aussi des grands ancêtres : David Bowie, Lou Reed ou Neil Young. Mieux encore : le mouvement techno , dans sa diversité, provient en droite ligne de la new wave électronique et de sa contrefaçon commerciale, la cold wave. Quant à la France, elle a vu fleurir dans les années quatre-vingt un rock alternatif, qui clamait son allégeance à un punk social, fortement engagé. Le duo electro-punk Berurier Noir apparaît comme la figure de proue du phénomène.

Le cinéma n’est pas sorti indemne du séisme. Sorti en 1977, le film Eraserhead, de David Lynch, est considéré comme l’ultime manifeste cinématographique de la new wave D’Elephant Man à Lost Highway, le cinéma de Lynch parait fortement influencé par l’esthétique de la période. C’est aussi le cas de Wim Wenders, de Jim Jarmush. En France, Leos Carax ou Olivier Assayas revendiquent l’héritage.

L’art contemporain a été bouleversé. Le mouvement des Young British Artists (Tracey Emin, Jake et Dinos Chapman, Damien Hirst, Chris Offili…) reprend notamment à son compte la dimension provocatrice de Throbbing Gristle et du punk, avec un énorme succès, qu’orchestre le Malcolm McLaren des arts plastiques, Charles Saatchi.

La mode ne cesse de revisiter le punk, la new wave, la no wave, le primitif moderne ou la cold wave. Thierry Mugler, Jean-Charles de Castelbajac, Jean-Paul Gaultier, Azzedine Alaïa, John Galliano s’inspirent tour à tour de l’esthétique autrefois initiée par Vivien Westwood.

Mais qu’en est-il des idées ? La révolution de 1977 pourrait sans doute passer pour une contre-réforme. On remplace le rêve collectif d’une société meilleure par un individualisme désenchanté. Théoriciens de la new wave et commentateurs d’une époque, Yves Adrien et Alain Pacadis ne cessent de chanter les louanges du capitalisme. Les fêtes mondaines du Palace ou des Bains Douches glorifient le succès, l’argent, la richesse . Dans Libération des 27 et 28 décembre 1980, Alain Pacadis se réjouit d’une récente visite à la Sorbonne, où il a participé à un cocktail mondain : « Après le cocktail, je me suis éclipsé dans les bureaux du recteur où j’ai pu admirer le fameux portrait de Richelieu par Philippe de Champaigne, qui avait été gratifié d’un graffiti situationniste en 69 : le tableau a été admirablement restauré. Que de souvenirs en cette vieille Sorbonne ! »

Restauration, contre-réforme, réaction… La new wave ne cesse de rejeter le futur. Tout se tient dans l’ambiguïté d’un mouvement qui manie sans fin le second degré. Glorifie-t’on réellement le monde moderne quand on s’enthousiasme pour les nuages radioactifs ? Le culte apparent du strass, du champagne et de l’argent frais dissimule l’absolu désarroi d’une jeunesse qui n’entrevoit son destin que sous l’angle du cynisme et de la dérision .

La new wave aurait-elle ainsi tout contaminé, et l’humanité serait-elle depuis toujours, punk, sans le savoir ?

Que penser d’un mouvement qui encense l’argent et la fête perpétuelle, tout en appelant de ses vœux une inéluctable destruction ?

On a souvent chanté en littérature la beauté du négatif. Mais on se brûle aussi les ailes, quand on frôle de trop près le soleil de minuit.

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