Existe-t-il toujours un projet révolutionnaire en France ?

par | 29 septembre 2011 | Extrêmes gauches

Article publié dans Rue Saint-Guillaume n°163, juin 2011.

La question du projet révolutionnaire et de sa viabilité renvoie dès l’abord à l’horizon mystérieux et angoissant de la révolution. Qu’est-ce que la révolution, sinon l’absolu bouleversement , celui qui modifie la substance et non l’accident ? La révolution, c’est la destruction du système, la mise à mort du roi, du tsar, l’édification d’un monde radicalement nouveau.

Ce coup de balai est-il encore envisageable, ou bien relève-t-il d’une mythologie désuète, surannée, caduque ?
Dans un livre important, De la Révolution aux révoltes((Jacques Ellul, De la Révolution aux révoltes, édition originale, Calmann-Lévy, 1972, réédition aux Editions de la Table ronde, 2011, p. 498.)), Jacques Ellul observe que « maintenant l’ère des révolutions est close ». La remarque pourrait choquer bien des tenants du Grand Soir. L’auteur estime en réalité que les divers surgissements de colère sociale ou politique ne remettent pas en cause la nature d’un système qui s’est imposé jusqu’à dominer la planète avec la force de l’évidence. Il y a certes des crises sociales de grande ampleur, des émeutes sanglantes, des guerres civiles. Jacques Ellul observe cependant que « […] cette société ne peut plus être véritablement mise en cause. Seulement ses apparences ».

En d’autres termes, les éruptions sociales conduisent, au minimum à des réformes, au maximum à des changements de dirigeants. La nature même du système n’est plus remise en cause. On l’a vu récemment en Tunisie ou en Egypte. Dans les deux cas, le système a tenu, tandis que les régimes se sont au mieux démocratisés.

Alors même que la révolution, dans son extrême même, se voit ainsi bafouée, aux profit de révoltes canalisées, les mouvements politiques révolutionnaires connaissent, partout dans le monde, un regain d’influence.
En France, les extrêmes gauches manifestent leur vitalité dans la rue, plus que dans les urnes. On les a vues participer activement l’automne dernier au mouvement contre la réforme des retraites. Elles sont sociologiquement implantées dans la population et bénéficient de bastions, locaux, régionaux, professionnels, syndicaux. Elles règnent sur une partie de l’économie sociale.

En parallèle, la prolifération des partis populistes, qui témoignent de la dissémination des discours extrémistes, est l’un des faits majeurs de l’époque présente. Les populistes prétendent rassembler l’ensemble des “ ennemis du système ” , sous une bannière démagogique. Ils se développent dans toute l’Europe.

Au même moment, on voit les crises sociales se multiplier : Guadeloupe, Grèce, Tunisie, Egypte… Autant d’éruptions populaires et de cris de colère.

Tel est bien le paradoxe pointé par Jacques Ellul dès 1972. Nombreux sont aujourd’hui les porte-drapeaux de la révolution. Mais les « mouvements sociaux » ne menacent pas le système. Ils ne font que fragiliser les gouvernements. Ils provoquent des réformes. Ils contraignent les partenaires sociaux à des négociations.

Comment en est-on arrivé à un tel état de fait ?
L’absence de réel projet révolutionnaire tient sans doute à la question du renouvellement. Il existe dans les différents courants extrémistes des sensibilités modernistes et rénovatrices. Celles-ci interrogent le corpus idéologique. Comment présenter au XXIe siècle une alternative crédible au capitalisme, quand les expériences du XXe siècle ont généralement échoué dans le sang et les larmes ? Cette question cruciale n’est pas tranchée.

En attendant, les forces révolutionnaires peinent à incarner une voie de salut. Il leur faut sans doute opérer en leur sein une révolution culturelle, seul préalable à la révolution sociale qu’elles appellent de leurs vœux.

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