Entretien avec Caroline Fourest

par | 8 avril 2013 | Extrêmes droites

Une version partielle de cet entretien a été publiée dans L’Arche, en avril 2013.

Qu’est-ce qui fait courir Caroline Fourest ? Pourquoi cette « journaliste engagée », ainsi se désigne-t-elle, grimpe-t-elle régulièrement sur Rossinante pour combattre les extrémismes de tous poils en un combat éternel, qui lui vaut plus que des inimitiés ?
Sens de la justice ? Colère inextinguible ? Masochisme ? Ces jours ci, elle offre sur France 5 une série de documentaires retentissants : « Les Réseaux de l’extrême ». Islamismes, complotismes, populismes, extremismes, nul groupuscule n’échappe à son regard sagace. Mieux encore, elle épingle les paranoïaques professionnels, les antisémités patentés, les terroristes verbaux de tout acabit. Sans attendre, les lazzi fusent. Entre autres douceurs, Pascal Boniface la traite de « serial menteuse ». Ment-elle comme elle respire, Caroline Fourest, ou énonce-t-elle des vérités qui fâchent, dans un monde voué à la lisse dictature du politiquement correct ? Nous avons voulu en avoir le coeur net.
Elle nous a reçu chez elle, et devant un thé vert, s’est épanchée.

Christophe Bourseiller. Caroline Fourest, vous observez depuis des années des nébuleuses, des galaxies aux contours de plus en plus indéfinis. Leurs points communs : la haine de l’autre, l’intolérance, une vision partiale de la réalité. Pour les désigner, vous dîtes « l’extrême ». Vous venez ainsi de réaliser pour France 5 une série au titre explicite : « Les Réseaux de l’extrême ». Mais de quoi parlons nous exactement ? Qu’est-ce que l’extrémisme ? S’agit-il pour vous d’une pathologie ?

Caroline Fourest. Je ne le définirais pas de façon médicale, mais de façon idéologique. Je m’intéresse à des mouvements qui ont aujourd’hui la particularité de masquer une partie de leur message, ce qui les rend d’autant plus dangereux. Leur but — pas toujours avoué — est de radicaliser les identités, semer de la défiance démocratique, mettre en question l’information délivrée par les journalistes, pour pouvoir mieux manipuler l’opinion, en vue de la confrontation de blocs d’identité contre d’autres blocs d’identité . Les partisans du choc des civilisations sont aussi bien chez les islamistes que chez les racistes . Parfois, ils se rejoignent. Chez les complotistes, on trouve aussi bien des gens d’extrême gauche que d’extrême droite pour qui le complot américano-sioniste, ou celui des élites justifierait d’être dans l’aigreur, plutôt que dans un combat constructif contre le capitalisme financier dont les maux sont bien réels. Chez certains complotistes, peut-être y-a-t-il une dimension médicale paranoïaque, mais il y a aussi une dimension idéologique avérée, entretenue par certains États, tels que l’Iran, la Syrie, ou autrefois la Libye du colonel Khadafy.

Christophe Bourseiller. Le conspirationnisme est en lui même dans l’extrémisme un cas à part. Ce n’est pas tant une idéologie constituée qu’une sous-culture ?

Caroline Fourest. C’est un mode de pensée.

Christophe Bourseiller. Dès lors, comment l’aborder ? Comment faire la part des choses ? On sait bien qu’il existe de véritable complots. Alors, comment s’y retrouver ?

Caroline Fourest. Avant même que la série de films ne soit diffusé, on a dit sur Internet que j’étais un agent du Mossad, ou que je travaillais pour certaines agences américaines. Plus drôle encore, le Réseau Voltaire de Thierry Meyssan, qui est la maison mère des sites conspirationnistes, a envoyé préventivement des courriers par voie d’huissier pour demander que l’on n’utilise aucune image, aucune captation d’écran de son site Internet, ce qui est intéressant de la part d’un site conspirationniste qui se dit boycotté par les médias, mais qui ne veut pas que les médias s’intéressent à sa propre propagande, à sa source ouverte.
Et quelques heures après ces courriers là, on a reçu un autre courrier, émanant carrément de l’ambassade d’Iran , qui cherchait à faire en sorte que le film ne soit pas diffusé . Là, on est devant des propagandes idéologiques, mais qui peuvent résonner auprès d’individus qui souffrent d’un déficit d’information, qui ont peu de temps pour comprendre la complexité de l’information, et qui de bonne fois partent dans un mode explicatif plus imaginatif que rationaliste.
Mais il y aussi des acteurs de propagande idéologique, qui sont des stratèges. Moi, ce sont les stratèges qui m’intéressent, plus que les caricatures.
Rentrer dans l’analyse des mode de pensée conspirationnistes, c’est peine perdue, car c’est un mode de pensée qui tourne en boucle. À partir du moment ou vous n’entrez pas dans la boucle idéologique, vous êtes immédiatement signalé comme un traître. Surtout si vous êtes journaliste.
Je n’ai pas voulu faire passer tous ces gens pour des fous. Il ne s’agissait pas de les démoniser. J’ai voulu informer sur les acteurs de ces propagandes, montrer leurs parcours, leurs revirements, leurs paradoxes, éventuellement leurs commanditaires, pour faire en sorte que ceux qui de bonne foi s’abreuvent aux sites du Réseau Voltaire, d’Egalité et Réconciliation ou de Reopen 9/11 sachent à qui ils ont affaire.

Christophe Bourseiller. Vous prenez beaucoup de risques. Vous vous faites attaquer de toutes parts. Il y a quelques mois, vous avez dû quitter la Fête de l’Humanité. Plus récemment, vous êtes faite passée à tabac par des groupes ultras-nationaliste en marge de la manifestation Civitas alors que vous filmiez les FEMEN. Pourquoi vous exposer ainsi ?

Caroline Fourest. Je fais simplement mon travail. Je me réclame d’un journalisme citoyen qui annonce la couleur. Il est bon de lutter contre la défiance qui règne envers les journalistes. Moi, je dis d’où je parle. C’est un engagement qui est à la fois très simple et très républicain. Je suis féministe, antiraciste et laïque. Il n’y a rien de plus consensuel et modéré. Mais comme ces valeurs simples sont mises en danger par des propagandes extrêmes, radicales, et qui parfois avancent masquées, je mets beaucoup d’énergie à les démasquer. Les démasquant, je fâche énormément de groupes. Les uns, et les autres… C’est pourquoi on me traite tantôt de cathophobe, tantôt d’islamophobe, tantôt de pro-islamiste, tantôt d’ennemi d’Israel, tantôt d’agent sioniste, et tout ceci me va. Puisque je ne suis rien de tout cela.

Christophe Bourseiller. Le cas de Thierry Meyssan est particulièrement troublant, au vu de son parcours idéologique. Il démarre dans le christianisme charismatique. Il devient ensuite vice-président du Parti radical de gauche et franc-maçon. Plus tard, il révèle son homosexualité, tout en publiant dans les années quatre vingt une lettre d’information sur l’extrême droite qui semble faire autorité. Arrive le 11 septembre, et tout bascule. Comment un homme peut-il changer d’avis aussi souvent ?

Caroline Fourest. En réalité, il y a déjà une faille dès les années quatre vingt. Fiammetta Venner et moi même l’avons croisé à plusieurs reprises à l’époque où il se disait antifasciste. Il pratiquait le journalisme engagé de façon malhonnête, en répandant de fausses informations sur des groupes d’extrême droite. Il était déjà dans un mode de récit extrêmement paranoïaque.
Je crois que le journalisme engagé exige une méthodologie rigoureuse, qui respecte les faits. Ce n’était pas son cas. Je suis passionnément attachée au respect des faits. Je peux me tromper. Mais contrairement à ce que pensent mes contradicteurs, ce n’est jamais de mauvaise foi. De toute façon, j’ai la chance d’avoir tellement d’adversaires que les notes de bas de page de chacun de mes livres sont épluchées à la loupe. Quand on a annoncé la couleur de son engagement, on doit être irréprochable sur la méthode.

Christophe Bourseiller. En quoi consiste exactement votre regard laïque ? On voit aujourd’hui dans la mouvance du Bloc identitaire des militants laïques qui prônent une sorte de laïcité extrême teintée de xénophobie.
Que faut-il en penser ?

Caroline Fourest. Riposte laïque n’est plus à mes yeux un groupe laïque. Ce sont des gens qui sont passés de la laïcité à un combat identitaire, avec le Bloc identitaire. À leurs yeux, il n’est pas concevable qu’il existe des musulmans laïques. Ceux qui prennent des risques, se battent contre les islamistes et se font assassiner n’existent pas dans leur représentation du monde. Ce sont des des gens qui parlent de plus en plus de tradition française, fantasment l’invasion musulmane. C’est une approche qui se situe clairement à l’extreme droite. Ce n’est pas un hasard si ces groupes ont été mis à l’index par les organisations laïques, y compris des groupes très courageux envers l’islamisme, comme l’Union des familles laïques (UFAL). Moi même, Henri Pena-Ruiz, et Mohammed Sifaoui, on a été les premiers à tirer le signal d’alarme contre Riposte laïque. Depuis le temps qu’on nous accuse d’être islamophobes parce que laïques… là pour le coup, nous sommes devant un groupe qui me paraît musulmanophobe (…).

Christophe Bourseiller. Laïques dévoyés, féministes égarées, gaullistes errants, fascistes avérés, gauchistes orthodoxes… Quels points communes trouvez-vous à ces groupes extrémistes ?

Caroline Fourest. L’idéologie n’est souvent qu’un drapeau qui habille des tempéraments. Sans s’improviser psychanalyste, on a parfois besoin de clefs, pour comprendre les parcours individuels et les renversements absolus à la Doriot. Comprendre comment Thierry Meyssan est passé de la défense de la laïcité et de la critique du financement public du pape à l’apologie de l’ayatollah Khomeiny sur une télévision iranienne, ca ne peut pas se faire uniquement par l’idéologie. Le complot américain lui a, semble t-il, paru plus porteur, à un moment donné, que le complot façon Opus Dei. C’est son fond de commerce, de libérer ce genre de théorie. Mais il y a une dimension plus personnelle, plus perverse sans doute. Il y a des tempéraments paranoïaques. On cherche des ennemis, des boucs émissaires. Et les ennemis de mes ennemis étant mes amis, on se rapproche de gens très différents et on est amené à passer d’un bout du spectre idéologique à l’autre. Au risque d’entretenir la confusion générale.

Christophe Bourseiller. Au fond, vous menez avant tout un combat contre cette confusion des valeurs, qui aujourd’hui règne en maître… Le danger c’est le confusionnisme généralisé ?

Christophe Bourseiller. Il faut une base solide, et il faut des balises, pour rétablir une base simple au milieu de ce magma. Ma passion, c’est de mettre de la clarté dans ce confusionnisme.

Christophe Bourseiller. Dans « Les Reseaux de l’extrême », vous évoquez les nébuleuses antisionistes qui sont de plus en plus radicales, au point qu’on peut parler d’une dérive de l’antisionisme, comme on l’a vu notamment avec Dieudonné, mais vous parlez aussi des réseaux ultra-sionistes.

Caroline Fourest. Je parle même des groupes qui se situent entre les deux. Je parle des Indigènes de la République, qui sont devenus pro-palestiniens et pro-Hamas. Je parle aussi du parcours de Dieudonné, un parcours qui ne peut pas s’expliquer uniquement par l’idéologie, mais je crois qu’on a bien réussi à décortiquer le phénomène. (…) Le pendant de Dieudonné, c’est pour nous la Ligue de défense juive (LDJ). Il y a des crétins partout et la LDJ est un bon exemple de crétinisme absolu, puisque ses membres en viennent à casser la gueule à des Juifs qui ne partagent pas leur vision du judaïsme. J’ai eu une discussion avec Ofer Bronstein, qui a lui même été pris à partie par la LDJ. Puis il y a un sujet sur le CRIF, parce que c’est un sujet de fantasme récurrent. J’en ai parlé à plusieurs reprises avec Richard Prasquier. Etre en première ligne dans la lutte contre l’antisémitisme et donner l’impression qu’on utilise le CRIF pour défendre la politique israélienne, c’est à double tranchant.

Christophe Bourseiller. Dernière question : vous supportez d’être attaquée ? J’ai lu que vous étiez une « serial-menteuse ».

Caroline Fourest. Oui, c’est une accusation lancée par les sites proches de Tariq Ramadan — pour me faire payer d’avoir dévoiler ses mensonges —, reprise par Pascal Boniface, dont les experts sérieux en géopolitique savent quoi penser depuis très longtemps. Non, on n’aime jamais ça, c’est toujours contrariant, mais on finit par développer une sorte d’écorce. Et puis on comprend pourquoi on est attaqué. Ça fait partie du métier, quand on étudie ces groupes d’être visé par eux ou leurs alliés. Franchement, je finirais par être vexée, si ne je ne les énervais pas.

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